Se faire bourgogner sur la rue Bourgogne
La longue rue principale qui traverse entièrement le Vieux-Chambly porte le nom d’avenue Bourgogne pour honorer, non pas une province de France comme on pourrait le penser, mais bien le général John Burgoyne (1722-1792). Ce dernier était à la tête des troupes britanniques qui ont libéré Chambly des Américains, en juin 1776. Rappelons que la seigneurie de Chambly a été occupée par les rebelles américains pendant six longs mois.
Curieusement le général Burgoyne, nom que nos ancêtres prononçaient à la française Bourgogne, ce qui explique le toponyme actuel, a également donné lieu à la création d’un verbe savoureux: bourgogner. Ce mot, malheureusement oublié, figure dans la Néologie Canadienne de Jacques Viger. Jacques Viger (1787-1858), premier maire de Montréal et ami de Louis-Joseph Papineau, était un homme curieux et cultivé qui se passionnait pour l’histoire tout en étant un grand amoureux de la langue. Au début du XIXe siècle, Viger entreprend d’écrire un glossaire des néologismes canadiens. Voici comme il définit bourgogner: battre d’une manière honteuse, battre à plates coutures. Par exemple: Je l’ai bourgogné. On le fait précéder aussi du verbe faire et l’on dit: Il s’est fait bourgogné, pour exprimer qu’il a été battu de manière déshonorante. Comment se fait-il que le brave général ait laissé un tel souvenir dans les mémoires de nos ancêtres? Viger l’explique: Ce verbe doit sa naissance à la défaite du général Burgoyne, que les Canadiens nomment encore Bourgogne. Hé oui! Le libérateur de Chambly a par la suite subi une défaite cuisante en déguerpissant honteusement devant les Américains en 1777, à Saratoga. Les historiens s’entendent pour dire que la retraite de Saratoga a été le point tournant de la révolution américaine et c’est le général Burgoyne qui a perdu cette campagne. Fait prisonnier à Boston avec ses hommes, Burgoyne fut libéré sur parole et retourna en Angleterre avec la promesse de revenir se constituer prisonnier (c’était une pratique courante à l’époque que de donner sa parole de gentleman). Mais Burgoyne ne revint jamais en Amérique, tandis que ses officiers et ses soldats demeurèrent prisonniers pendant six longues années. Le général John Burgoyne, surnommé gentleman Johnny, est un représentant typique des militaires son époque. Officier et titulaire de charges importantes grâce à ses relations, c’était aussi un homme cultivé qui a même été auteur dramatique. Peut-être aurait-il dû s’en tenir à cette seule vocation? Quant à bourgogner, quel dommage que ce joli mot soit disparu de notre vocabulaire! Il témoigne à la fois de l’esprit français de nos ancêtres et de leur manière de prononcer les mots anglais qu’ils écrivaient également… à la française, comme il se doit!
Louise Chevrier
Référence :
Dictionnaire biographique canadien
Néologie Canadienne de Jacques Viger, 1825, livre publié en 1998 par Suzanne Blais, aux Presses de l’Université d’Ottawa.